Vers le traversier

> Argentia – 85 km
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Mercredi. Il y a exactement un mois qui je suis sur la route. Mon site de camping a plutôt bien fait dans les circonstances, même si ce n’était pas très plat… 

Après une nuit très humide mais calme, je me lève tôt car la météo annonce le retour de la pluie en fin de journée. En attendant, c’est bien gris.

Je démarre rapidement car les moustiques sont désagréables. Le plan est simple : rallier Argentia et prendre  le traversier à 17 h.

Je parcours environ 10 km avant de déjeuner au bord de l’eau à New Harbour. À partir d’ici, j’ai un bon vent de face pour la journée.

Après un bref passage le long de Trinity Bay, je longe Dildo Pond avant de rejoindre la T. C. H., toujours aussi passante et stressante, mais pour deux kilomètres seulement. Ensuite, c’est la route 100 qui traverse des landes, puis des landes et encore des landes. Heureusement, l’accotement pavé est large et assez propre, et il n’y a que très peu de circulation.

Une bonne descente me mène le long de la North East River. À partir de Dunville, le paysage change : ce n’est plus le plateau, mais une vallée assez encaissée. Il y a de jolies baies et plus de relief : c’est vraiment beau malgré le temps douteux.

Une bonne montée, une bonne descente, et j’arrive à la gare maritime. Il y a de la place, comme prévu, mais je suis pas mal d’avance : il sera à 17 h… demain ! Surprise, mais avantage : il y a un camping tout près et j’ai pas mal de choses à faire.

Un grand brouillard envahit le paysage. Je pars à la recherche du camping, mais les indications sont imprécises. Je le trouve en haut de la colline. En principe, il offre une vue panoramique sur la mer, mais pour l’instant c’est bien bouché.

Il n’y a personne au bureau, mais d’autres campeurs me disent de m’installer et d’appeler, ce que je fais. Il tombe un petit crachin et il vente assez fort. La préposée arrive après ma douche, très appréciée après ces trajets. Le tarif est très raisonnable, pour une fois.

Il ne pleut plus, alors je m’installe dehors pour écrire alors que ma serviette et mes vêtements de vélo sèchent au vent. Vers 17 h, le brouillard se lève et un horizon de mer se dévoile, avec de petits trous bleus dans le gris. La pluie viendra bien assez vite.

Luke, jeune motocycliste ontarien, monte sa tente près de la mienne. Nous mangeons ensemble dans la cuisinette mise à notre disposition. Bob, un retraité, vient nous faire un bout de causette bien agréable. Comme prévu, la pluie arrive sous forme d’un bon crachin vers 19 h, mais elle ne dure pas et nous avons droit à un ciel coloré de toute beauté.

Bien installé dans le coin cuisine, je termine la mise à jour du journal et le tri des récentes photos, un travail agréable mais qui prend du temps. Il n’y a pas de connexion Internet, alors tout partira un jour…

Comme rien ne presse pour demain, je termine ma soirée avec le film « La famille Bélier », une histoire de musique et de famille que j’ai sur mon ordinateur depuis mon arrêt à St.John’s. Merci, Luc !


km jour : 86,2
km total : 2491
départ / arrivée : 7 h 45 / 14 h 30
temps déplacement : 7 : 30
vitesse moyenne : 16,6
vitesse maximale : 61,5
camping : 15 $

                    86,2           2491,0            7 h 45   > 14 h 30
                    16,6                61,5              7 : 30      15,00 $

Baccalieu Trail

> New Harbour – 120 km
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Mardi. Passage obligé des arrêts chez des amis : le départ. La rencontre a été très agréable, mais il est temps de reprendre la route.

Après une bonne nuit, la routine du matin entraîne son tourbillon. Après le déjeuner, Luc quitte avec Madeleine. Mon matériel est pas mal prêt, mais j’ai quand même besoin de quelques minutes. Il en est de même pour Clotilde et Jacqueline, qui vont à la piscine. Nous nous quittons à regret.

Il fait un temps splendide. Avant de prendre la route pour de bon, je fais un détour de quelques kilomètres pour l’épicerie. Il est déjà tard quand je pars pour vrai.

Laissant l’aéroport derrière moi, je longe le lac Windsor, source d’eau potable pour St. John’s et donc protégé.

Après le plateau, une descente sinueuse me mène à Portugal Cove, un joli village d’où part le traversier vers Bell Island, juste au large. De côte en côte, j’arrive à Topsail avec sa plage très fréquentée. C’est le début de Conception Bay South, une zone urbanisée et très commerciale. Il y a du monde et beaucoup de voitures, un mauvais moment à passer.

À partir de Holyrood, j’emprunte Baccalieu Trail, une route côtière [1]. C’est une succession de petits villages au fond de baies, entrecoupés de passages plus montagneux. C’est agréable, surtout qu’il fait toujours très beau. En revanche, la route n’est pas en très bonne condition, alors je dois être vigilant. Étonnamment, il y a de petites erreurs sur ma carte, des villages mal situés ou intervertis.

Après South River, c’est plus urbanisé et il y plus de circulation. J’avais imaginé y trouver un joli camping sauvage en bord de mer…

En fin de journée, il me faut planter ma tente, mais à ma connaissance il n’y a pas de camping par ici. Le ciel se couvre – hum… – et je ne trouve toujours rien. Un chemin vers la gauche est un dépotoir sauvage ; un sentier vers la droite est plein de gros cailloux ; les lacs à gauche, réserve d’eau potable, sont interdits d’accès. Il est déjà tard quand un sentier à droite s’avère être un choix potable. Il est grand temps, la nuit tombe.

En quelques minutes, je monte la tente, organise mon matériel et mange avant de disparaître pour la nuit. Il fait déjà presque noir…


[1] L’île Baccalieu est une petite île inhabitée à l’extrémité nord de la baie Conception. Cette réserve écologique abrite une importante colonie d’oiseaux. Le nom baccalieu viendrait du portugais baccalhau (morue).


km jour : 119,9
km total : 2405
départ / arrivée : 10 h 15 / 20 h 10
temps déplacement : 7 : 30
vitesse moyenne : 15,9
vitesse maximale : 53,3

Piscine, table et colline

St. John’s (Signal Hill)
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Lundi. Encore aujourd’hui, il fait très beau. Nous nous levons au retour de Clotilde, un peu zombie après deux jours sans vraiment dormir.

Luc donne un cours à l’université, Madeleine est chez une gardienne et Clotilde a besoin de repos, alors je pars avec Jacqueline pour une bonne baignade à la piscine municipale. Nous marchons le trajet et nous nous amusons bien dans l’eau.

Après le repas, Clotilde retourne dormir, Jacqueline lit, et je fais de petits travaux. Au matin, j’avais arrangé une poignée de porte défectueuse – la salle de bains ne fermait pas bien – et je m’attaque à une première couche de peinture sur une table à pique-nique toute neuve tout en supervisant le séchage de la lessive du jour. Tout est bien calme.

Au retour de Luc et de la voiture – cette dernière était en réparation –, nous nous préparons pour une randonnée et un pique-nique à Signal Hill, le cap faisant face à Fort Amherst à l’entrée de la baie.

Le début du sentier est étonnant : nous traversons entre les maisons par des passages et des escaliers, car elles sont construites sur une pente abrupte sans routes pour voitures. Magnifique !

Ensuite, le sentier s’accroche – confortablement, car il y a de nombreux escaliers et passerelles – à une paroi souvent vertigineuse. Les vues  sont constantes et spectaculaires. Nous ne sommes pas seuls : c’est le rendez-vous des coureurs et marcheurs de la ville.

Plus loin, un bout du sentier est un peu abrité du vent qui s’époumone. En prime, nous bénéficions de la vue sur une baie de toute beauté.

Un long escalier nous mène au sommet de Signal Hill. Ici, il y a du monde puisqu’il est possible de s’y rendre par la route, en bravant les embouteillages. Nous arrivons juste à temps pour profiter du coucher du soleil.

Luc redescend rapidement chercher la voiture alors que nous allons le rejoindre tranquillement tout près d’ici. La descente dans la nuit qui tombe rapidement aurait été difficile pour les filles.

Nous finissons la journée avec une visite de la vieille ville, puisque Clotilde, qui ne manque pas de talents, est également guide touristique. Mes amis n’étirent pas leur soirée, car la fatigue est là. De mon côté, je prépare un courriel collectif. Demain, je reprends la route.


Autour de St. John’s

St. John’s (Cape Spear) – 60 km
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Dimanche. Quelle bonne nuit ! En plus, c’est l’été aujourd’hui, magnifique, chaud et ensoleillé.

Nous déjeunons en famille, mais nous ne passerons pas la journée ensemble. Après les routines du matin, mes amis partent à la pêche en mer, une première pour les filles. Cette activité avait été planifiée de longue date.

De mon côté, je ne suis pas mal pris : je pars à vélo, mais sans bagages. Yé ! Je suis bien préparé : Clotilde m’a fourni itinéraire et carte.

Première étape : Fort Amherst, à l’entrée de la baie. Auparavant, il faut traverser la ville. En approchant du port, les côtes sont abruptes, mais descendent. De l’autre côté de la baie, un itinéraire vélo assez achalandé serpente entre quais et falaise, offrant de très belles vues sur la ville et la mer. Et le vieux fort, assez décrépit, occupe un site magnifique. Le phare, lui, est en bon état.

Deuxième étape : Cape Spear, lieu historique national et point le plus à l’est de l’Amérique. Pour s’y rendre, de grosses côtes que je n’aurais pas monté avec les bagages. Sur place, des phares et des anciennes fortifications, et surtout des paysages magnifiques de mer et de landes.

Le site est très fréquenté et je prends le temps d’en profiter. C’est aussi très venteux, sans arbres. J’apprécie mon petit polar. Il y a de nombreux sentiers, dont celui qui suit le littoral. Un jour, peut-être…

En arrivant, j’avais vu passer la voiture de Paul. Au retour, je croise Connor et Cole, qui en sont à quelques kilomètres de terminer leur traversée du Canada. Vélocitations !

Troisième étape : Petty Harbour, joli village de pêche. En chemin, je réajuste ma roue avant afin que le frein ne touche plus à l’étrier, un réglage qui se doit d’être parfait. En arrivant au village, un homme nettoie son camion. Son compresseur me permet de remettre mon pneu arrière à sa pression normale. Maintenant, le vélo va bien.

Le village est vraiment magnifique, disposé en gradins autour d’une baie étroite. En remontant la rivière, une costaude conduite forcée mène l’eau d’un réservoir vers une petite centrale hydroélectrique. Près du barrage, la conduite n’est plus en acier mais en bois et devient plutôt une fontaine étrange couverte de végétation.

Le retour est facile avec le vent de dos et un relief assez confortable. Il est déjà tard, mais j’arrive avant mes amis. Ceux-ci sont très satisfaits, qualifiant leur pêche de miraculeuse. Et grâce au vent de terre et au grand soleil, c’était très confortable.

Après le souper, assez tardif, il est temps de coucher les enfants. Les adultes passent au cinéma avec « Aïcha », une émission de télé française dépeignant les tribulations de familles immigrantes dans les banlieues parisiennes. Un portrait intéressant. Nous allons tous au dodo, sauf Clotilde qui travaille à nouveau cette nuit. Elle risque d’être assez fatiguée demain…


km jour : 59,3
km total : 2285
départ / arrivée : 11 h 00 / 18 h 15
temps déplacement : 3 : 38
vitesse moyenne : 16,3
vitesse maximale : 61,3

Terra Nova et bus

> Port Blanford – 85 km > St. John’s – 220 km
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Samedi. La pluie n’a pas été forte et je n’ai presque rien entendu : j’avais mes bouchons, à cause de la proximité de la route. Je me lève un peu avant 9 h et je me prépare tranquillement, puisque les possibilités d’averses restent élevées ce matin.

Je prends la route peu après 11 h. Côté météo, c’est froid, gris, sans aucun rayon de soleil de toute la journée, mais sans plus de pluie.

La route est de plus en plus montagneuse, il y a de la circulation mais c’est plus varié et joli malgré la grisaille. Je passe au-dessus du village de Gambo et de son vaste estuaire, puis j’entre dans le Parc Terra Nova. Je me contente de le traverser sans le visiter, car il est plus tard que prévu.

Je vais continuellement de montée en descente. Il y a plusieurs lacs et cours d’eau, mais peu de vues sur la mer. La circulation est assez présente mais se gère bien grâce au large accotement.

Alors que je découvre enfin un paysage ouvert sur un bras de mer bien gris, je dois prendre une pause imprévue pour une crevaison : un tout petit bout de fil de fer bien rigide a fini par passer au travers de ma chambre à air arrière. Ça se répare facilement, mais ça prend du temps. Heureusement, j’avais bien calculé mon temps de parcours. En revanche, ma petite pompe ne me permet pas de remettre mon pneu à sa pression normale, mais je peux compléter les derniers kilomètres.

Un kilomètre avant la fin, je trouve un bout de tuyau de silicone. C’est parfait, j’en avais besoin pour pouvoir stabiliser ma fourche quand j’enlève la roue avant.

J’arrive à l’arrêt 45 minutes avant l’autobus. Comme je suis prêt rapidement, j’ai le temps de manger avant d’embarquer, ce qui est très simple. Le conducteur a une assistante qui accueille les passagers. Ce n’est pas très cher : 43 $.

Bien installé dans le confortable véhicule – choc culturel après tant de vélo –, j’ai un petit regret : cette portion de l’itinéraire offre enfin de très beaux paysages montagneux et spectaculaires. Alors que le jour baisse – en gris, bien sûr –, la route 1, qui avait été sans grand intérêt pour un bon bout, est maintenant bien belle.

Sur la fin de son trajet, l’autobus devance son horaire et nous descendons au terminus de l’université 20 minutes plus tôt que prévu. J’appelle Luc qui arrive rapidement puisqu’il habite tout près. C’est un grand plaisir de se retrouver.

Après vérification, je lui confie mes bagages et je pédale derrière sa voiture. C’est bien plus simple que d’y entrer le vélo.

Clotilde et les filles – Jacqueline et Madeleine, 8 et presque 3 ans –, me font un excellent accueil. À la maison, c’est la soirée cinéma en famille. Au programme, les Schtroumpfs en version très américanisée.

Il est quand même tard, alors nous prenons nos quartiers de nuit. Je dors même dans une chambre !  Clotilde n’a pas cette chance : elle travaille cette nuit. Elle veille une dame atteinte d’un cancer avancé afin de donner un répit à sa famille. Malgré tout, elle fera sa journée demain…


km jour : 84,2
km total : 2226
départ / arrivée : 11 h 15 / 17 h 45
temps déplacement : 4 : 50
vitesse moyenne : 17,4
vitesse maximale : 50,2

TCH – Trans Canada Highway

> Gambo – 135 km
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Vendredi. Demain, août et le terme du voyage qui approchent trop rapidement.

Ce matin, j’ai été accueilli par un joli lièvre un peu timide devant la caméra. Il n’a pas fait froid, ça n’a pas été très humide, seul mon double toit et mon chandail lavé hier sont mouillés. En revanche, le ciel est gris malgré de discrets rayons de soleil.

Je salue mes voisins cyclistes, qui partent en même temps que moi. Je traverse le village afin de trouver de l’eau potable – celle du camping ne l’était pas – et une épicerie. Je ne trouve que l’eau, mais c’est l’essentiel pour maintenant.

Je reprends l’autoroute où le trafic est assez dense. Connor et Cole passent devant moi, je ne les reverrai plus aujourd’hui. Le gris du ciel se transforme en petit crachin. Un peu après Bishop’s Falls, je rattrape un petit groupe de jeunes marcheurs que j’avais dépassé hier en fin de journée. Partis à pieds de Victoria, BC, le 1er mars, ils achèvent la traversée du pays. Toute une épopée !

Le crachin cesse peu à peu, mais le soleil reste rare. Jusqu’à la jonction Notre-Dame, il y a de bonnes côtes. Je dîne au kiosque d’information touristique puis j’avance entre conifères, tourbières et marais, un paysage sans grand relief.

À Gander, une grosse épicerie me permet de faire mes courses, puis je longe en le voyant à peine l’immense lac Gander. C’est ensuite une montée de quelques kilomètres, puis une rapide descente vers le lac Square Pond, un peu avant Gambo. Il y a un grand camping. J’hésite un peu car il est cher – 30 $ – pour un coin de gravier à côté de la route sans même une table. En revanche, il y a douches et Internet. Et le ciel reste bien indécis…

Je monte la tente – j’ai développé de bonnes techniques pour l’installer sur presque n’importe quoi –, je mange sur une table inutilisée puis j’appelle Luc. Demain soir, je terminerai le trajet vers St. John’s en autobus : j’en ai assez de la T. C. H. avec trop de véhicules et sans grand intérêt, si ce ne sont les trop nombreuses croix en mémoire des victimes de la route…

Je m’installe dans ma tente pour écrire en musique jusqu’à la nuit tombée. Ensuite, je m’occupe des courriels et de la météo – pluie jusqu’à demain 11 h – et dodo.


km jour : 135,5
km total : 2142
départ / arrivée : 7 h 45 / 18 h 05
temps déplacement : 7 : 18
vitesse moyenne : 18,5
vitesse maximale : 54,7
camping : 30 $

Machine ?

> Grand Falls-Windsor – 150 km
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Jeudi. La nuit a été très humide. Mon double toit est bien trempé quand je me lève peu après 6 h. Je range et charge, puis je vais près du lac, sur la route, pour manger avec une belle vue, pas de moustiques et de l’eau pour la vaisselle.

À 300 m vers le nord, des automobilistes arrêtent régulièrement pour examiner une masse sombre sur l’accotement. C’est un orignal tué par un camion cette nuit : j’ai été réveillé par un grand coup de klaxon. Je ne m’approche pas : j’aime mieux les orignaux vivants.

Il fait un temps radieux. Les quelques nuages qui s’accrochaient encore se dissipent rapidement et le ciel se dégage complètement. Il fera relativement chaud.

Au départ, je longe le lac. Surprise, il y a un genre de camping à deux kilomètres de l’endroit où j’ai dormi. Aucun regret.

Le lac Birchy offre de belles vues dont je profite longtemps, puisqu’il s’étend rectiligne sur plus de 20 km entre deux rangées de petites montagnes.

La route n’est pas difficile : les montées comme les descentes sont douces et l’accotement est habituellement accueillant.

Il n’y a pratiquement rien d’origine humaine en dehors des chemins et de quelques chalets. Aux rares intersections, on trouve une station service avec dépanneur, et c’est tout. Une de ces intersections mène vers des lieux aux noms francophones, dont Fleur de Lys, Baie Verte, La Scie, Pacquet, témoins d’un passé révolu…

J’ai un très léger vent de face jusqu’à l’intersection vers King’s Point. J’aurais le goût d’y aller, ça semble bien beau, mais je me retiens. J’explorerai plus loin.

J’arrête pour manger et je vois arriver deux jeunes cyclistes sans bagages qui rejoignent une voiture. Nous nous présentons. Paul accompagne ses fils Connor et Cole, 19 et 17 ans, qui traversent le Canada cet été tout en en recueillant des fonds pour la protection de l’eau www.thewatercycleproject.com. Ils sont vraiment enthousiastes.

Je reprends ma route sous un  ciel qui s’ennuage tranquillement. Un orignal bien vivant m’attend sur le bord de la forêt, mais au moment où la caméra est prête lui ne l’est plus et il entre dans le bois. Je garde une photo dans ma tête.

J’ai un bref aperçu de la baie Halls et je croise South Brook, le premier hameau depuis Deer Lake, plus de 120 km à l’ouest. La route vire franc sud et j’avance rapidement, poussé par un bon vent du nord-est. Je traverse un paysage vallonné, marqué par le travail de castors hyperactifs.

Lors d’une pause à l’écart de la route, je vois passer Connor et Cole. Je les rejoins plus loin, alors qu’ils prennent une pause à leur tour. Nous jasons encore, heureux de nous retrouver. Je repars, et ils me dépassent au moment où je rejoins le camping que je visais depuis ce matin.

Il est 15 h 30, je n’ai parcouru que 110 km est je suis en pleine forme. De plus, le camping est immense et rempli de VR énormes. Je décide de continuer ma route.

À partir de Badger, le village suivant, la route repart vers l’est et j’ai un fort vent de face jusqu’à la fin du trajet. Ça devient plus dur, mais je ne suis pas inquiet car il y a quelques campings à Grand Falls-Windsor, une ville plus importante.

Le premier sera le bon. Il est bien plus simple que le précédent. Le ciel est maintenant bien gris, alors je m’installe en fonction de la pluie, m’assurant que ma tente est bien sèche à l’intérieur. Je vois arriver un véhicule connu : Paul, Connor et Cole sont bien étonnés de me voir rendu ici : « You are a machine ! » Il s’installent non loin puis vont manger en ville.

De mon côté, je ne bougerai pas ce soir. Alors que j’achève mon repas, un léger crachin commence à mouiller le campement. J’installe le chandail que je viens de laver sur une corde dans mon vestibule : il ne sèchera pas beaucoup, mais ne se mouillera pas plus qu’il ne l’est.

Après la douche, je m’installe dans la buanderie pour écrire au sec tout en rechargeant l’ordinateur. Dehors, la pluie s’intensifie avant de cesser. Je termine le journal, puis dodo. Il est quand même près de 23 h.


km jour : 151,1
km total : 2006
départ / arrivée : 7 h 45 / 17 h 45
temps déplacement : 7 : 47
vitesse moyenne : 19,3
vitesse maximale : 50,8
camping : 25 $

Après la pluie…

> Birchy Lake – 65 km
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Mercredi. Il a plu toute la nuit, et ma tente est parfaitement sèche. C’est carrément génial ! Au réveil, j’écris le journal, mais je n’ai aucune envie de sortir : la pluie reste intermittente, et de voraces moustiques m’attendent. Je profite de l’occasion pour enfin entamer la lecture de la thèse de maîtrise de mon ami Roger. De toute façon, j’envisage une journée légère : ce n’est pas un temps pour pédaler, et j’ai quelques tâches en vue.

J’ai besoin d’un alignement de ma roue avant. J’ai vérifié hier avec Gaétan : il y a une boutique de vélo à Corner Brook, 60 km à l’ouest. Il pleut et mon trajet va vers l’est. Plan « A » : louer une voiture. Impossible : rien n’est disponible aujourd’hui. Plan « B » : l’autobus. Ne marche pas non plus. Plan « C » : pédaler. Mauvaise idée avec la pluie, la distance et l’heure déjà tardive. Plan « D » : le pouce. Avec vélo, sous la pluie ? Plan « E » : essayer de réaliser un alignement moi-même.

J’ai l’outil. Je place le vélo à l’envers entre deux tables, sous mon providentiel abri et j’improvise un gabarit à partir de mon trépied de caméra fixé au porte-bagages. Ça prend du temps et de la minutie, mais le résultat semble plutôt bon. Je verrai sur la route, plus tard.

Un homme vient sous l’abri voir si j’ai besoin d’aide. Tout est fini, mais j’avais besoin d’une rondelle pour bien fixer mon appareil photo. Gérard, un francophone acadien, se fait un plaisir de fouiller dans son bric-à-brac pour dénicher en plein ce qu’il me faut. Il collectionne les anciennes motos anglaises, de belles machines.

Il pleut régulièrement, je m’installe à la buanderie pour recharger les batteries, écrire et lire en musique.

Quand je sors pour le dîner, la pluie a cessé. Décision rapide : je pars. Mon dîner est minimal, comme ma réserve de nourriture, mais suffisant. Je range tout et je remonte en selle : je préfère le pédalier au clavier.

À Deer Lake, il y a une épicerie digne de ce nom, ma première depuis mon arrivée à Terre-Neuve. Je fais le plein, car la prochaine risque d’être loin. J’achète également une nouvelle bonbonne pour le réchaud, car je ne veux pas tomber en panne.

Mon vélo est bien lourd quand je prends la T.C.H. – Trans Canada Highway, l’autoroute qui devient bientôt grande route normale. Il n’y a aucune autre option. Au début, il y a des bandes rugueuses sur l’accotement, ce qui le rend difficile à utiliser, mais elles n’y sont que pour quelques kilomètres. Je suis heureux de retrouver un accotement digne de ce nom.

Le ciel reste bien gris, mais il ne tombe plus rien de significatif. Surtout, j’ai un bon vent de dos qui me fait avancer rapidement. En revanche, la route est absolument sans intérêt : des arbres sans fin, peu de relief, pas de point de vue, rien à voir en fait. St. John’s est à 625 km, de quoi penser à l’autobus. J’ai le temps, le prochain hameau est à plus de 100 km.

Après 50 km, il y a une station service et une intersection vers Hampden. La route change de direction et j’ai maintenant le vent de face. Il est temps de penser à arrêter, mais il n’y a rien, même pas de chemin forestier. Quand j’en croise enfin un, il mène à un chantier. Pas bon. À l’intersection, une camionnette est arrêtée, un des pneus de sa roulotte s’étant désintégré. Je peux leur préciser les distances jusqu’à la station service et Deer Lake.

Quelques centaines de mètres plus loin, un pont, un estuaire, quelques roulottes et un emplacement utilisable. Je vois enfin le lac, mais je ne peux camper près de l’eau : je suis plutôt sur l’ancienne route, environné de trop de déchets. Tant pis, c’est ici que je dormirai.

S’il n’y a pas d’humains en vue, les moustiques sont nombreux. C’est un cas de pantalons, polar, casquette, filet et bas de néoprène. Je m’organise rapidement : arrivé à 19 h, j’entre pour de bon dans la tente 45 minutes plus tard. J’ai le temps de terminer le journal avant que la nuit ne tombe complètement. À 21 h 15, dodo !


km jour : 65,9
km total : 1855
départ / arrivée : 14 h 15 / 19 h 00
temps déplacement : 3 : 16
vitesse moyenne : 20,2
vitesse maximale : 40,9

Les montagnes vers Deer Lake

> Deer Lake – 85 km
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Introduction au message collectif

« J’achève la visite du Parc Gros Morne, superbe et que j’aurais aimé pouvoir mieux explorer. Je n’ai pas l’équipement requis. Je pars pour Deer Lake, puis St. John’s, malgré une météo parfois humide. Je viens quand même de mettre en ligne les photos des derniers jours. Bon voyage virtuel ! »

Mardi. Il a peu mouillé cette nuit, et ce matin le double toit est simplement humide. La réparation du pneu a tenu : c’est parfait. Levé vers 6 h 30, je démonte mon campement, prends une douche – hier soir, à la frontale, ce ne me semblait pas être une bonne idée – et je suis sur la route à 8 h 45 sous un ciel menaçant.

Je passe avec précautions les deux kilomètres de gravier, puis j’attaque les montées. C’est à pieds que ça se passe… En revanche, le soleil réussit à allumer quelques couleurs dans la vallée et la pluie ne menace plus, même si le temps semble à l’orage. Après une autre montée à pieds, je redescends à toute vitesse vers le Centre de découvertes du Parc.

Je m’installe à l’ordinateur pour préparer l’envoi des photos, un bon travail avec une connexion Internet précaire. Des amis du bateau de la basse Côte-Nord viennent me saluer. Eux aussi sont très heureux de leur voyage. Il est finalement plus de 13 h quand je repars. Le ciel laisse passer pas mal de soleil.

Sur cette route au sud de la baie, les hameaux se succèdent, ainsi qu’une série de petites montées et descentes. C’est beau.

Vers la fin de la baie, la route tout juste reconstruite traverse un estuaire. Puis je vois ce qui m’attends : une longue montée. C’est près des limites de pentes que je peux grimper, alors j’y vais par intervalles : deux minutes de vélo, deux minutes de pause pour reprendre mon souffle. C’est un bon col, j’en ai pour un peu plus d’une heure. Arnaud a dû trouver sa journée d’hier assez difficile…

Jusqu’à la sortie du Parc, ça monte et descend. Ensuite, je longe un joli lac et rejoins l’intersection de la 430. Le ciel est de nouveau plutôt couvert. Vers Deer Lake, il y a une circulation moyenne, mais à surveiller – une voiture faisant un dépassement en sens inverse me fait prendre très rapidement le gravier. À part quelques lacs, la route est essentiellement en forêt.

En approchant de Deer Lake, j’achète de délicieuses fraises bio – enfin des fruits ! – et j’arrive à un camping sur les berges de la rivière Humber. J’ai un petit doute car il s’affiche comme un parc pour VR.

Il y a deux sites pour tentes, libres. L’un est très intéressant car il est sous un petit chapiteau, bien assez grand pour ma tente et tout mon campement. C’est plus que parfait pour la pluie qui arrivera bientôt.

Tout se passe bien. C’est tranquille malgré la proximité de la route et de l’aéroport. Je rencontre un homme en VR. Bukhard, que ses amis appellent Burki, est allemand. Il m’a vu à plusieurs reprises ces derniers jours, puisque nous étions aux mêmes campings et sur les mêmes routes. Aujourd’hui, il a visité Green Gardens, que j’aurais bien aimé voir aussi…

De ma tente, je n’ai pas Internet, mais j’appelle Gaétan et Monique, à qui je n’avais pas parlé depuis quelques jours déjà. Je m’installe pour dormir, alors que la pluie commence à crépiter sur le chapiteau, épargnant totalement ma tente. Yé !


km jour : 84,4
km total : 1789
départ / arrivée : 8 h 45 / 18 h 05
temps déplacement : 5 : 20
vitesse moyenne : 15,8
vitesse maximale : 50,7
camping : 23 $

Tablelands et Trout River

> Trout River – 50 km
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Lundi. La nuit n’a pas été froide, mais ce matin le ciel est gris. Selon la météo, le début de la semaine risque d’être assez humide.

Pour le moment, ça va. Arnaud se prépare rapidement, car il souhaite prendre un petit traversier entre Norris Point et Woody Point à 9 h. Le suivant sera à 12 h 30, et il doit arriver ce soir à Deer Lake pour prendre un avion à la fin de la nuit. Gros programme.

Pour moi, pas d’urgence. Je pars à 8 h 10 sans me presser, car je prendrai le deuxième traversier. J’arrête plusieurs fois en chemin pour de petites balades et des points de vue. À Rocky Harbour, je tente de renflouer mes réserves de nourriture. Après la tournée des « épiceries », je dois accepter de me passer de fruits frais, la chose étant indisponible ici.

D’ici jusqu’au traversier, je monte beaucoup avant de descendre abruptement, admirant au passage le Mont Gros Morne que je ne pourrai gravir cette fois-ci. J’arrive au quai pour 11 h et je peux recharger les batteries tout en écrivant jusqu’à 12 h 20. Sur le petit bateau, qui n’accepte que les piétons et les cyclistes, un jeune homme porte un chandail avec un texte en français : Hugo, étudiant à Québec, travaille pour le Parc et c’est à lui que j’avais parlé hier. Petit monde.

La traversée dure à peine 20 minutes. De l’autre côté de Bonne Bay, le petit village est dominé par les Tablelands, de spectaculaires montagnes orange sans végétation. Mais il faut s’y rendre : ça monte ! Je prends une pause photo, des gens s’arrêtent, intrigués par le cycliste, et me disent en avoir croisé un autre juste avant. Et Arnaud arrive.

Ce matin, il avait raté son bateau de quelques minutes,  mais avait pu embarquer avec une croisière qui l’avait déposé après deux belles heures à Woody Point. Il avait tenté d’aller vers Trout River mais avait renoncé. Fatigué, il doit partir vers Deer Lake. Malgré tout, c’est une autre très agréable rencontre. Nous nous reverrons sûrement à Montréal.

J’arrête un moment au Centre de découvertes du Parc. Je vérifie ce qui est raisonnable comme projets dans les conditions. Aujourd’hui, j’irai marcher dans les Tablelands puis me rendrai au camping de Trout River. Ce sera assez, surtout que la pluie viendra en soirée.

Quelques montées costaudes – dont une ou je hale le vélo – et une bonne descente, ponctuées de pauses photo pour paysages superbes, et j’arrive au stationnement. Il y a du monde, mais c’est calme. Je rencontre Martin, un motocycliste ayant apporté sa monture d’Allemagne pour une année d’errance nord-américaine. Ingénieur, il a abandonné son emploi pour partir à l’aventure.

Je pars, laissant mon vélo à la garde de l’honnêteté des gens. C’est magnifique et étonnant : d’un côté de la vallée, des roches grises et une végétation foisonnante ; de l’autre, des roches oranges à l’intérieur vert et texturé, et pratiquement aucune plante puisque la serpentine, venue du manteau terrestre, est toxique pour elles.

Je remonte le ruisseau Wallace jusqu’à de très jolies cascades, en plein désert. Époustouflant ! Il reste que quelques gouttes venues du ciel donnent un avant-goût du programme…

Au retour, mon vélo est intact. Une famille de québécois, avec quatre ados, se prépare à aller marcher sur le sentier. Je leur suggère de prendre le même chemin que moi, car le sentier risque d’être assez ennuyeux pour des jeunes, même s’ils ont gravi Gros Morne hier. Nous prenons une photo de famille avec les Lopez-Proulx : Oscar et Rosalie, les parents, ainsi que Leïla, Emilio, Camilla et Maëlie. Belle gang.

Je repars dans la vallée entre les deux univers, orange et vert. Trop beau. Ce n’est pas dur jusqu’à l’arrivée au village et au lac : quelques montées, une grosse descente, un chemin plus étroit.

Ensuite, imprévu, la route en gravier monte abruptement. Je dois y aller à pieds. Compensation non négligeable : un paysage sublime, digne des lacs de montagne en Europe.

Je recommence à rouler entre les trous, jusqu’à ce que j’en prenne un de front. J’entends un petit bruit désagréable : celui de l’air qui fuit de mon pneu avant. Fini les photos : je roule le plus vite possible avant que celui-ci se retrouve à plat. Je marche les derniers 300 m menant au camping, ayant à ajouter une réparation au programme de la soirée.

Je m’installe sur mon site, heureusement sec, je soupe et fais la vaisselle, puis je me dirige vers l’abri communautaire pour réparer mon pneu. Quelques personnes sont bien intriguées par mon voyage. Un homme revient avec une bonne pompe à vélo. Dennis, cycliste venu de Floride, a tout son matériel et ses vélos sur son VR. Grand merci : c’est impossible de bien gonfler les pneus avec une pompe d’urgence.

La cause de la crevaison est rapidement trouvée et réparée : un éclat de verre a traversé mon pneu et patiemment usé la chambre à air. Avec la pompe, c’est un jeu d’enfant de remettre mon pneu à sa pression normale.

Je m’installe ensuite à l’ordinateur pour terminer le journal. Je profite de la douce chaleur du feu dans l’abri, alors que la pluie tombe toujours tout doucement. À 22 h, comme indiqué, l’électricité est coupée, une étrange idée. Peut-être est-elle dépendante d’une génératrice. Je termine la soirée en choisissant les photos qui figureront sur Internet, un bon travail puisque j’avais quelques jours de retard. À 23 h 30, je ferme boutique alors que la pluie a cessé.


km jour : 50,1
km total : 1705
départ / arrivée : 8 h 10 / 17 h 40
temps déplacement : 3 : 27
vitesse moyenne : 14,4
vitesse maximale : 59,9
camping : 25 $